CHRONIQUES

« Péter la balloune » : mythes et réalité

Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent spontanément, le crime de conduite d’un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies par l’effet de l’alcool n’implique en rien une teneur précise d’alcool dans le sang et, inversement, la teneur d’alcool dans le sang n’implique en rien la preuve d’un affaiblissement des facultés de conduire un véhicule à moteur sous l’effet de l’alcool.

En somme, on peut très bien conduire un véhicule à moteur en ayant les facultés affaiblies de conduire ce véhicule tout en ne dépassant pas le seuil légal prévu quant à l’alcoolémie permise (le fameux « .08 »)1 et, de ce fait, commettre l’infraction prévue à l’article 253 (1) a) du Code criminel. Cela dit, on peut très bien dépasser la limite de « .08 » et, de ce fait, commettre l’infraction prévue à l’article 253 (1) b) du Code criminel sans pour autant qu’il y ait une preuve de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool (art. 253 (1) a) C.cr.).

Pour illustrer le tout prenons un exemple concret. Imaginons un individu roulant sur l’autoroute à 99 km/h un soir de tempête hivernale du mois de janvier où la chaussée est glissante et la visibilité presque nulle alors que la plupart des autres automobilistes roulent prudemment à une vitesse oscillant entre 60 et 70 km/h. Dirions-nous que cet individu roule vite ? Dans les circonstances décrites, fort possiblement. Dirions-nous que ce même individu roule au-delà de la limite de vitesse (100 km/h) ? Certainement pas ! Imaginons maintenant le même individu roulant sur l’autoroute à 101 km/h une belle journée ensoleillée du mois de juillet où la chaussée est sèche et la visibilité excellente alors que la plupart des autres automobilistes roulent allègrement à une vitesse oscillant entre 120 et 130 km/h. Dirions-nous que cet individu roule vite ? Dans ces circonstances estivales, rien n’est moins sûr. Dirions-nous que ce même individu roule au-delà de la limite de vitesse (100 km/h) ? Très certainement, même si ce n’est que d’un seul km/h ! Quoi retenir de cet exemple. Premièrement, ce n’est pas parce que l’on se « sent » en état de conduire que nous sommes forcément sous le seuil légal de l’alcoolémie permise. Deuxièmement, ce n’est pas parce que d’autres le font, que nous devons le faire aussi…

En pratique, il n’est pas rare qu’un individu ayant obtenu un résultat supérieur à « .08 » à l’alcootest lors de son arrestation soit accusé de conduite avec plus de « .08 » (art. 253 (1) b) C.cr.) et également de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool (art. 253 (1) a) C.cr.). Toutefois, il est important de savoir qu’en vertu de la règle interdisant les condamnations multiples il ne peut, à tout le moins depuis l’arrêt Kineapple rendu par la Cour suprême du Canada en 1975, y avoir deux condamnations d’enregistrées au regard des deux accusations portées initialement. Concrètement, dans la mesure où il y avait un plaidoyer de culpabilité ou une déclaration de culpabilité à la suite d’un procès, la Cour prononcerait un arrêt conditionnel des procédures2 sur l’un ou l’autre des chefs d’accusation portés et une peine ne serait imposée que sur le chef d’accusation subsistant.

Un autre point à avoir à l’esprit est que si on ne se « sent » pas en état de conduire un véhicule à moteur en raison d’une consommation d’alcool et/ou d’une drogue3, il n’est très certainement pas opportun d’avoir le « réflexe » de se coucher dans la voiture afin de récupérer, encore moins à la position conducteur. En effet, d’une part, l’article 253 du Code criminel prohibe autant la conduite que la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur et, d’autre part, l’article 258 (1) a) du Code criminel prévoit une présomption à l’effet que « lorsqu’il est prouvé que l’accusé occupait la place ou position ordinairement occupée par la personne qui conduit le véhicule à moteur – [généralement position conducteur] – il est réputé en avoir la garde ou le contrôle ».4

Enfin, aux plaisanciers et amateurs de bateaux et moto-marines, soyez avisés que l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies et/ou plus de « .08 » s’appliquent aussi à vous  !5

En terminant, bien que la Cour suprême du Canada rappelle constamment l’importance du fléau social que constitue « l’alcool au volant »6, n’allez surtout pas croire qu’une accusation de conduite avec les facultés affaiblies et/ou plus de « .08 » entraine toujours une condamnation. Bien au contraire ! Plusieurs moyens de défense existent, la « preuve contraire » par exemple – l’alcootest n’étant pas une machine infaillible7. De plus, les policiers n’étant pas à l’abri d’erreurs humaines et les droits fondamentaux chapeautant toutes interactions entre eux et un citoyen présumé innocent jusqu’à preuve de sa culpabilité démontrée hors de tout doute raisonnable, il peut être drôlement rassurant de consulter un professionnel du droit pour être bien conseillé, défendu et représenté afin de faire valoir une éventuelle défense pleine et entière !

Alors, avant de « jeter l’éponge », consultez-nous !

Le présent article ne constitue pas un avis juridique et n’engage que la responsabilité de son auteur.

1. Le « .08 » signifie concrètement avoir une alcoolémie, c’est-à-dire alcool dans le sang, de 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang.
2. R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3 et R. c. Terlecki, [1985] 2 R.C.S. 483.
3. Le terme “drogue” s’entend au sens large et peut inclure également les médicaments…
4. Pour une application de ce qu’est une « garde ou contrôle » d’un véhicule à moteur, voir l’arrêt R. c. Boudreault, 2012 CSC 56.
5. En effet, le l’article 253 (1) du Code criminel stipule : « Commet une infraction quiconque conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire […] »
6. Elle l’a d’ailleurs réitéré dans l’arrêt R. c. Orbanski; R. c. Elias, [2005] 2 R.C.S. 3.
7. R. c. St-Onge Lamoureux, 2012 CSC 57.