CHRONIQUES

« LES DANSES À 10$ »

Dans l’arrêt Marceau et autres c. La Reine, rendu le 15 juin 2010 par la Cour d’appel du Québec (2010 QCCA 1155), la majorité des juges (2  contre 1) ayant décidé que les fameuses « danses à 10$ » constituent de la prostitution, cela fait en sorte que quiconque (client(e) comme danseuse(eur), dans un isoloir ou non) se trouve dans un tel établissement, se trouve dès lors dans une « maison de débauche » au sens de l’article 210 (2) b) du Code criminel1. En principe, cet arrêt de la Cour d’appel du Québec est applicable à la grandeur du Canada puisqu’une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada a été rejetée le 13 janvier 20112. En somme, la Cour suprême du Canada a, en refusant de se pencher sur cette cause, confirmé être d’accord avec le raisonnement de la majorité des juges de la Cour d’appel du Québec.

Il faut savoir qu’en 1999, une mince majorité3 de juges de la Cour suprême du Canada (3 contre 2) s’était prononcée en faveur des « danses à 10$ » dans l’arrêt La Reine c. Thérèse Blais Pelletier, [1999] 3 R.C.S. 863.

On pourrait donc se demander pourquoi un renversement d’opinion ultérieurement ?

Tout d’abord, notons que l’article 197 (1) du Code criminel définit depuis longtemps l’expression « maison de débauche » en ces termes : « local qui, selon le cas : a) est tenu ou occupé ; b) est fréquenté par une ou plusieurs personnes, à des fins de prostitution ou pour la pratique d’actes d’indécence. »

En 1999, on avait, semble-t-il, concédé en première instance qu’une danse à 10$ n’était pas un acte de « prostitution » au sens de la définition légale d’une maison de débauche (art. 197 (1) C.cr.) et plutôt plaidé qu’il s’agissait d’un « acte indécent ». Or, dans l’arrêt Pelletier, la Cour suprême du Canada a, succinctement, confirmé que le concept « d’indécence » évolue avec le temps, les mœurs et les valeurs sociales en général, qui, en 1999, l’amenait à conclure qu’un tel comportement (danse à 10$) n’était pas « indécent » au sens du Code criminel. La Cour suprême du Canada s’est bien gardée de dire si cela constituait par ailleurs de la « prostitution » puisqu’il semblerait qu’on avait concédé en première instance qu’une danse à 10$ n’était pas un acte de « prostitution »…

En 2010, en se fondant sur l’arrêt Pelletier de la Cour suprême du Canada rendu en 1999, on concéda, à juste titre, qu’une danse à 10$ n’était pas un « acte indécent » au sens de la définition légale d’une maison de débauche (art. 197 (1) C.cr.). Après tout, ce qui n’était pas criminellement « indécent » en 1999 pouvait difficilement le devenir 10 ans plus tard, les mœurs et valeurs sociales en général n’ayant pas évoluées en sens contraire… Toutefois, en revenant sur l’argument délaissé 10 ans auparavant, on a prétendu, cette fois-ci, qu’une danse à 10$ constituait plutôt un acte de « prostitution » au sens de la définition légale d’une maison de débauche (art 197 (1) C.cr.). La majorité de la Cour d’appel du Québec et, ultimement, certains juges de la Cour suprême du Canada avalisèrent ce raisonnement en précisant que, contrairement au concept « d’indécence » qui évolue avec le temps, les mœurs et les valeurs sociales en général4, le concept de « prostitution », lui, est fixe et n’est pas tributaire ou évolutif au gré des mœurs ou valeurs sociales. En somme, ce qui était de la prostitution à l’Antiquité l’est encore aujourd’hui… Ne parle-t-on pas d’ailleurs du « plus vieux métier du monde » !

Bien que le débat entourant le métier d’effeuilleur ou d’effeuilleuse puisse alimenter encore bien longtemps les discussions5, il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle, l’état du droit fait en sorte qu’encourager et/ou fréquenter les bars où s’y déroulent des « danses contacts » est illégal…

Le présent article ne constitue pas un avis juridique et n’engage que la responsabilité de son auteur.

1. Lequel stipule : « Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité par procédure sommaire quiconque, selon le cas : a) habite une maison de débauche ; b) est trouvé, sans excuse légitime, dans une maison de débauche ; c) en qualité de propriétaire, locateur, occupant, locataire, agent ou ayant autrement la charge ou le contrôle d’un local, permet sciemment que ce local ou une partie du local soit loué ou employé aux fins de maison de débauche. »
2. Les juges Lebel, Deschamps, Charron ont rejeté la demande d’autorisation d’appel (33833).
3. Il faut savoir que la Cour suprême du Canada est composée de 9 juges.
4. Dans les arrêts R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728 et R. c. Kouri, [2005] 3 R.C.S. 789, la Cour suprême du Canada a confirmé que le concept d’indécence criminelle est un concept évolutif.
5. Un débat constitutionnel est d’ailleurs en cours actuellement au Canada quant à la validité constitutionnelle des dispositions du Code criminel relativement à la sollicitation et aux maisons de débauche : Attorney General of Canada et al. v. Terri Jean Bedford et al., 2012 ONCA 186 (Cour d’appel d’Ontario) (requête pour permission d’appeler accordée sans dépens par  la Cour suprême du Canada le 25 octobre 2012 – No dossier 34788) et Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45 (arrêt rendu par la Cour suprême du Canada le 21 septembre 2012).