CHRONIQUES

Un peu de criminologie : « Le triangle de la dissuasion générale selon Cesare Beccaria »

Cesare Beccaria Bonesana, marquis de Gualdrasco et Villareggio, né le 15 mars 1738 à Milan où il est mort le 28 novembre 1794, était un juriste, philosophe, économiste et homme de lettres italien rattaché au courant des Lumières et opposant à la peine de mort.
Source :http://fr.wikipedia.org/wiki/Cesare_Beccaria

Son œuvre la plus célèbre « Des délits et des peines » fut publiée en 1764.

Dans l’arrêt Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, le juge Cory, dissident, cita Cesare Beccaria aux pages 803 et 804, en ces termes :

« En 1764, dans Dei delitti e delle pene, Cesare Beccaria a soutenu que la peine devait être appropriée à l’infraction.  À son avis, l’effet de dissuasion de la peine capitale était moindre que celui de l’emprisonnement.  Il a écrit:

            La simple considération des vérités exposées jusqu’ici montre à l’évidence que le but des peines n’est ni de tourmenter et affliger un être sensible, ni de faire qu’un crime déjà commis ne l’ait pas été.  Un corps politique, qui, bien loin d’agir lui‑même par passion, a pour objet d’apaiser celles des particuliers, peut‑il être le foyer d’une inutile cruauté, instrument de la fureur, du fanatisme ou de la faiblesse des tyrans?  Les cris d’un malheureux seraient‑ils capables de faire revenir le temps passé et de révoquer les actes qu’il a commis?  Le but des châtiments ne peut être dès lors que d’empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages à ses concitoyens et de dissuader les autres d’en commettre de semblables.  Il faut donc choisir des peines et une manière de les infliger qui, toute proportion gardée, fassent l’impression la plus efficace et la plus durable possible sur l’esprit des hommes, et la moins cruelle sur le corps du coupable. (Traduit par M. Chevallier, Des délits et des peines (1965), à la p. 24.)

Fait important, Beccaria a déclaré que dans une société vouée au maintien de la vie, l’État ne devait pas, comme punition, enlever la vie.  Il ajoute à la p. 52:

            La peine de mort est nuisible par l’exemple de cruauté qu’elle donne. Si les passions ont rendu la guerre inévitable et enseigné à répandre le sang, les lois, dont le but est d’assagir les hommes, ne devraient pas étendre cet exemple de férocité, d’autant plus funeste qu’elles donnent la mort avec plus de formes et de méthode.  Il me paraît absurde que les lois, qui sont l’expression de la volonté générale, qui réprouvent et punissent l’homicide, en commettent elles‑mêmes et, pour détourner les citoyens de l’assassinat, ordonnent l’assassinat public

APPLICATION DE LA THÉORIE DE BECCARIA AUJOURD’HUI :

L’objectif (dissuasion générale) : un triangle le plus large possible, en augmentant la promptitude, la certitude et la sévérité dans l’imposition d’une peine.

Promptitude : la peine doit être promptement imposée après le délit
Certitude : l’auteur du délit doit avoir la certitude d’être puni
Sévérité : le délit doit être sévèrement puni par une peine proportionnelle au délit

PROMPTITUDE (des tribunaux efficaces et rapides)

L’article 11 b) de la Charte canadienne des droits et libertés qui stipule que « tout inculpé a le droit d’être jugé dans un délai raisonnable » vise notamment à assurer une promptitude raisonnable dans la détermination de l’innocence ou de la culpabilité d’un individu et, s’il y a lieu, dans l’imposition d’une peine.

CERTITUDE (des policiers « éveillés » et en nombre suffisant)

« En choisissant la peine qui convient le mieux au délinquant, les tribunaux participent également à son élaboration, à sa réalisation en tant qu’essence. C’est donc, en grande partie, à travers le jeu de la décantation judiciaire que la peine trouvera son application, son « efficace possible ». Cette efficacité, il convient de le souligner, ne serait possible sans l’intervention des autorités policières. En effet, à quoi servirait la peine sans la perspective d’être arrêté et traduit en justice ? Quelle serait l’utilité des châtiments sans la peur d’être châtié ? En veillant au respect des lois et des règlements, les autorités policières assurent l’application concrète de la loi et la certitude de son effectivité aux yeux des citoyens. Législatures, tribunaux, instances de police. Voilà donc les trois institutions chargées de l’élaboration et de l’application de la peine au Canada. Pour être efficaces, ces fonctions « doivent marcher ensemble comme les trois actions complémentaires d’un [seul et] même processus ».

PARENT, H. et DESROSIERS, J., Traité de droit criminel : La peine, tome 3, Montréal, Thémis, 2012 aux pages 9 et 10.

SÉVÉRITÉ (un législateur à l’écoute de la population et des juges rigoureux, fermes et stricts dans l’application de la loi et l’individualisation d’une peine)

Dans l’arrêt Paré c. R., rendu le 7 novembre 2011, 2011 QCCA 2047 (requête pour permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada rejetée le 9 août 2012 – 34566), la Cour d’appel du Québec, sous la plume du juge François Doyon, écrivait :

« [44] Au paragr. 2 de R. c. B.W.P.; R. c. B.V.N., [2006] 1 R.C.S. 941, la juge Charron en donne cette définition :

En tant que principe de détermination de la peine, la dissuasion consiste à imposer une sanction dans le but de décourager le délinquant, et quiconque, de se livrer à des activités criminelles. Lorsque la dissuasion vise le délinquant traduit devant le tribunal, on parle de « dissuasion spécifique », lorsqu’elle vise d’autres personnes, on parle de « dissuasion générale ». Les présents pourvois portent sur la dissuasion générale, qui est censée opérer ainsi : des criminels potentiels éviteront de se livrer à des activités criminelles en raison de l’exemple donné par la punition infligée au délinquant. Quand la dissuasion générale est prise en compte dans la détermination de la peine, le délinquant est puni plus sévèrement, non seulement parce qu’il le mérite, mais également parce que le tribunal décide de transmettre un message à quiconque pourrait être tenté de se livrer à des activités criminelles similaires.

[45] La dissuasion générale autorise donc un tribunal à imposer une peine plus sévère pour faire en sorte de transmettre un message en vue de dissuader d’autres personnes de commettre une telle infraction, mais encore faut-il que le délinquant le mérite. Cette idée selon laquelle le délinquant doit mériter la peine qui lui est infligée nous renvoie nécessairement au principe fondamental de proportionnalité énoncé par le législateur à l’art. 718.1 C.cr. : La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. »

Le présent article ne constitue pas un avis juridique et n’engage que la responsabilité de son auteur.